« Indignée et engagée, elle l’était ! »
Le témoignage de Gilles Vanderpooten, par France Libertés
Le dernier message de Danielle Mitterrand « Ce que je n’accepte pas » est une conversation pour l’avenir inédite réalisée avec Gilles Vanderpooten à Latche l’été dernier, dans la lignée de « Engagez-vous ! » publié avec Stéphane Hessel, aux éditions de l’Aube. Gilles Vanderpooten nous a confié son témoignage :
« Quelle femme, aujourd’hui en France, marque le monde contemporain par la force et la sincérité de ses engagements ? Danielle Mitterrand était l’évidence même. Son parcours, son authenticité, sa détermination, forçaient mon admiration. Alors que je venais d’achever avec Stéphane Hessel l’écriture d’Engagez-vous !, je souhaitais poursuivre mon initiative d’interroger des personnalités qui, dans cette période d’incertitude et de quête de repères, ont un message à délivrer aux jeunes générations.
Quelle joie lorsque Danielle m’invita à converser dans sa maison de Latche, dans les Landes, à l’été 2011 ! Entourée des siens sur trois générations dans ce lieu chargé d’histoire, elle exprimait à la fois la joie de vivre et la volonté de résister, de lutter encore et toujours. C’est là que nous avons initié les entretiens qui donnent aujourd’hui lieu à la publication de « Ce que je n’accepte pas ».
Indignée et engagée, elle l’était ! A travers des combats multiples et sincères, de la défense des peuples autochtones à la lutte pour l’accès gratuit de tous à l’eau. « Le système a tellement exagéré dans la démesure, il a tellement pressuré non seulement la vie, les richesses humaines, mais aussi les richesses naturelles, qu’il existe aujourd’hui un mouvement qui dit : « Halte-là, ça suffit ! » Ce mouvement, j’y ai travaillé toute ma vie. Loin de n’être que « la femme de » ou « la première dame de France » -titre qu’elle réfutait- elle voulait défendre le bien commun et agir. Et c’est ce qu’elle fit avec France Libertés, fondation qui poursuit aujourd’hui formidablement son action. Radicale, militante, battante, elle l’était également ! « Aujourd’hui encore, on me dit : « Vous êtes un peu trop radicale. » Je réponds : « Il faut l’être. » Et, me conseillait-elle : « Ne prenez pas pour argent comptant tout ce que l’on vous raconte, posez des questions, soyez exigeant, fixez-vous un objectif, rejoignez les réseaux, et n’attendez pas pour agir ! » Voilà le message qu’elle souhaitait adresser à la jeunesse, nous incitant à « faire des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue en les poursuivant ».
Nous terminions ensemble ce livre lorsque Danielle nous a malheureusement quittés. Qu’il puisse communiquer la force toujours vive de ses engagements ! »
Danielle Mitterrand raconte son esprit de résistance dans un livre posthume
(AFP) – 17/01/2012
PARIS — « Je ne veux pas me contenter de changer le monde, je veux changer de monde », raconte Danielle Mitterrand, décédée en novembre 2011, dans « Ce que je n’accepte pas », un livre d’entretiens posthume, à paraître le 19 janvier, où elle évoque son esprit de résistance et ses combats.
« Remettre en cause, protester devant l’incompréhensible, l’inadmissible, se rebeller contre les autorités (…) J’ai appris cela très jeune et par conséquence toute ma vie j’ai posé des questions », explique la veuve de François Mitterrand dans ces entretiens réalisés avec Gilles Vanderpooten l?été dernier à Latche.
Son époux n’échappait pas à ses interpellations: « Lorsque je ne comprenais pas la motivation d’une décision, j’interrogeais mon interlocuteur privilégié tout au long de ses deux septennats, surtout lorsque je discernais une contradiction entre ses convictions et ses actes », raconte l’ex-première dame, décédée le 22 novembre 2011 à l’âge de 87 ans.
De ses jeunes années dans la Résistance à son dernier combat pour l’accès à l’eau pour tous, « le refus de l’injustice a présidé toute ma vie », souligne Mme Mitterrand, dont le livre est publié aux éditions de l’Aube, tout comme « Indignez-vous », de l’ex-diplomate et résistant Stéphane Hessel.
Danielle Mitterrand raconte aussi son combat pour le droit des peuples, comme les Kurdes, les Cubains ou les Quechuas, au travers de sa fondation France Libertés. « Je peux m’enorgueillir d’avoir participé (…) à la fin de l’apartheid en Afrique du Sud », rappelle-t-elle par exemple.
Affirmant ses convictions – « il faut être radical », « l’indignation est nécessaire » -, elle insiste sur la nécessité d’une « rupture avec le capitalisme » et explique avoir rejoint le mouvement des altermondialistes « parce qu’il était, et reste, le seul lieu où la défense des droits de l’homme se conjugue avec la défense des ressources indispensables à la vie ».
Celle qui salue le mouvement des Indignés et les forums sociaux mondiaux qui lui ont « donné beaucoup d’espérance », les appelle à s’unir « pour mettre un terme à la dictature économique et financière ».
« Mais c’est long, que c’est long. Surtout quand on a 87 ans. Je me dis que je ne verrai rien de tout cela. Mais je sais que le processus est engagé », conclue-t-elle.
(« Ce que je n’accepte pas » – Danielle Mitterrand, entretiens avec Gilles Vanderpooten – Editions de l’Aube – 109 p. – 7,10 euros)
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Le testament de Danielle Mitterrand
Par Dominique de Montvalon, article paru dans France Soir le 10 janvier 2012
Juste avant sa mort, le 22 novembre, la « rebelle » Danielle Mitterrand a voulu, dans un petit livre, se confier une dernière fois.
Même si Michel Joli, secrétaire général de la Fondation France-Libertés que présidait Danielle Mitterrand, récuse dans sa post-face le mot de « testament » pour qualifier ce livre (1) dans lequel l’ex-première Dame de France s’est une dernière fois livrée, c’est bien d’un testament qu’il s’agit. Morte le 22 novembre dernier à Paris et sachant que sa fin approchait, Danielle Mitterrand avait accepté, en effet, une dernière conversation. Son questionneur est Gilles Vanderpooten, co-auteur avec l’ambassadeur Stéphane Hessel d’Engagez-vous, la suite du célébrissime opuscule Indignez-vous. D’ailleurs, le livre de la rebelle Danielle Mitterrand – qui, toute sa vie, aura refusé le conformisme, le cynisme ou simplement le statu-quo – s’intitule : « Ce que je n’accepte pas ».
Tout au long des deux septennats de François Mitterrand, « Danielle » n’aura eu de cesse d’interroger celui qu’elle baptise d’une drôle de façon son « interlocuteur privilégié » sur le trop grand écart entre ses « convictions » et ses « actes ». Et lui, chaque fois, essayait de s’en sortir tant bien que mal : « Je ne peux pas te donner la réponse que tu attends de moi. La conduite du pays m’impose trop de retenue… »
Danielle Mitterrand savait dire non
L’aptitude à dire « non » de Danielle Mitterrand date, en réalité, de sa prime jeunesse : quand, à l’âge de 6 ans, la directrice – fort « bigote », paraît-il – du collège (pourtant public) de Dinan lui a fait payer cash les convictions laïques de son père, en lui reprochant de ne pas aller tous les matins faire sa prière, comme les autres.
« Dire non, je le tiens de mon père, écrit plus loin Danielle Mitterrand, émue et fière. Sous Vichy, il a refusé de livrer le nom des enfants juifs de l’établissement dont il était directeur… ‘Non, ce n’est pas possible. Je dois désobéir’... ». Et Danielle, dans cet élan-là, de proclamer, fidèle à son père : « Toute ma vie, j’ai posé des questions ».
Une femme dérangeante
Militante de la cause kurde (jusqu’à exaspérer, à l’époque, le quai d’Orsay), « séduite » par Fidel Castro (au motif, un peu court, qu’il représentait « tout le mal que le monde capitaliste pense de ses opposants ») et avocate de la « rupture avec le capitalisme » (ce qui était le cas aussi de son mari avant 1981), Danielle Mitterrand ne s’est jamais exprimée en intellectuelle ou en théoricienne. Le registre de cette femme dérangeante était plutôt instinctif, voire « tripal », avec des accents à la Mélenchon : « Jusqu’ici, les peuples ont vécu le règne de la pensée unique, selon lequel seul l’argent peut faire le bonheur. C’est, bien sûr, une hérésie... » Ou encore (p. 80) : « Le capitalisme a fait de l’argent un maître à penser. Ce système est devenu d’une telle démesure qu’il est insupportable. Et c’est dans cette même démesure qu’il s’effondre… »
« On ne s’engage pas dans la Résistance, on naît résistant. Jamais mon père n’aurait suivi Pétain… » : ces lignes – pesées, fortes – François Mitterrand, mort le 8 janvier 1996 ne les aura pas lues. Sans doute, compte tenu de son propre itinéraire (autrement plus tourmenté), est-ce mieux ainsi. Mais s’il les avait lues, qu’aurait-il dit, comment aurait-il réagi ? « Danielle », jusqu’au bout, aura été solidaire de « François » mais, elle le confirme, sans la moindre concession quand il s’agissait, à ses yeux, de l’essentiel.
(1) Ce que je n’accepte pas, par Danielle Mitterrand. 110 pages. Editions de L’Aube. 7,10 euros.