Le chef Raoni, célèbre porte-voix des peuples indigènes, emblème de la lutte pour la préservation de la forêt amazonienne et pour le droit à l’autodétermination, est de passage en France, 25 ans après sa première venue. Nous l’avons rencontré le 4 juin 2014 au Conseil économique social et environnemental à Paris, aux côtés des centaines de personnes venues s’informer et soutenir son action.
Les nouvelles ne sont pas bonnes et c’est précisément ce qui l’incite à effectuer cette tournée, « probablement la dernière », alors que débute au Brésil la Coupe du monde de football. « Même en période de Coupe du monde, la déforestation continue » nous rappelle-t-il.
En 2011, Jéromine Pasteur, exploratrice qui connait bien l’Amazonie et ses peuples pour avoir vécu pendant 25 ans à leurs côtés (voir l’ouvrage La vie est un chemin qui a du coeur, ed. de L’Aube), attirait notre attention sur les dangers des barrages hydroélectriques qui y pullulent, notamment celui de Pakitzapango (Amazonie péruvienne) menaçant de noyer 100 000 hectares de forêt primaire, de déplacer 10 000 personnes et de générer par la même occasion 900 000 tonnes de gaz à effet de serre.
L’ampleur de ce qui se passe à Belo Monte au Brésil et que redoutent Raoni et les siens est plus grande encore. Et la France – et ses entreprises notamment publiques- n’y est pas étrangère.
« Plusieurs entreprises françaises – EDF, GDF mais aussi Alstom – ont déjà investi ou aimeraient le faire dans des projets de grands barrages en Amazonie. Le plus emblématique est celui du Belo Monte, dans le nord du pays, dont la mise en service est prévue pour cette année. Il est situé en dehors des territoires indiens, mais il gênerait déjà le cours des poissons dont se nourrissent les Indiens. De plus, la zone inondable pourrait « tuer des Indiens » qui ne sont « même pas informés » du projet, estime Megaron Txucarramãe. […] Alors qu’il l’avait déjà reçu en 2012, François Hollande a cette fois décliné la sollicitation du chef indien. Pourtant, ce dernier aurait bien besoin du soutien de la France pour porter la seule initiative qui pourrait mieux sanctuariser le poumon vert de la planète : élargir le champ de compétences de la Cour pénale internationale. » (Le Point, 5-6-2014)
La venue de Raoni jusqu’à nous est l’occasion de rappeler l’hommage que nous lui avons rendu dans « I have a dream, un nouveau monde se dessine » publié en 2013 à l’occasion du 50e anniversaire du discours de Martin Luther King. Extraits :
« Je suis convaincu que si nous voulons être du bon côté de la révolution mondiale, nous devons en tant que nation entreprendre une révolution radicale des valeurs. Nous devons rapidement commencer à passer d’une société orientée vers les choses à une société orientée vers la personne. »
Martin Luther King« J’aimerais que les Indiens vivent tranquilles dans la forêt, qu’ils puissent chasser, pêcher et aussi chanter et danser au village. C’est cela la vie des Kayapos. Je ne veux pas que les Indiens deviennent comme les Blancs. »
Raoni
« Les Blancs », pour les peuples autochtones d’Amérique du Nord et du Sud, d’Afrique, d’Asie, d’Océanie, ce sont les bûcherons qui défrichent pour vendre le bois et faire place aux monocultures de soja, de maïs, de palmier à huile, avec l’habituel « paquet technologique » hérité de la Révolution verte des années 1960 (mécanisation, engrais chimiques, herbicides et pesticides, réseaux routiers). Ce sont les troupeaux du ranching qui substitue la prairie pour l’élevage bovin aux forêts anciennes, laissant au bout de quelques années des sols épuisés. Ce sont les industries minières, qui impliquent d’importants défrichements et des pollutions annexes. C’est l’exploitation pétrolière qui provoque des dégâts sur l’environnement. Ce sont les barrages hydroélectriques qui inondent des centaines de milliers de kilomètres carrés, parfois dénoncés comme « folie technique et environnementale ».
Ces bouleversements de l’environnement s’accompagnent de conflits sociaux souvent violents (l’esclavagisme est une réalité quotidienne dans certaines grandes exploitations agricoles du Brésil), de l’invasion des réserves indigènes, la corruption, l’insécurité, la contrebande, l’alcoolisme, la prostitution, la diffusion des maladies. On évoque des déplacements de populations, voire des exterminations.
Raoni a appris que sur d’autres continents, d’autres peuples éprouvent les mêmes souffrances.
[…]Pour défendre son territoire, Raoni a tué, pris des otages, coupé des routes. Le premier moyen de protéger les terres des Indiens, c’est de les délimiter et de faire reconnaître leur inviolabilité. De grands travaux de démarcation ont été entrepris par des géomètres accompagnés d’Indiens, aboutissant aujourd’hui à la plus grande réserve d’Amazonie
En 2012, Dilma Roussef, la présidente du Brésil, a donné son approbation pour la construction du troisième plus grand barrage hydroélectrique du monde, sur le territoire des Kayapos. « J’ai demandé à mes guerriers de se préparer à la guerre, j’en ai parlé aussi aux tribus du Haut Xingú. Nous ne nous laisserons pas faire. Nous irons tuer les Blancs qui construisent ce barrage. Il faudra que la présidente Dilma me tue face au Palais du Planalto. Là, seulement, vous pourrez construire le barrage de Belo Monte. »