Et sur les rives de ma vie…
L’autobiographie de Jéromine Pasteur, parue aux éditions Arthaud (2006) et J’ai lu (2008)
Auteure de récits d’aventure et de romans, Jéromine Pasteur navigue depuis plus de vingt ans sur tous les océans du monde et retourne régulièrement au cœur de la forêt péruvienne auprès d’un clan d’Indiens ashaninkas, sa seconde famille. Elle retrace cinquante ans d’une vie où la mer, la forêt, le rêve, la poésie et la liberté sont les maîtres mots…
Extraits :
« Je suis née à 7h25, un 30 novembre, à Montceau-les-Mines, au moment de l’arrivée de la micheline du Creusot. Mon grand-père est allé me déclarer à la mairie et, au retour, il a déposé dans mon berceau un ours en peluche, tout blanc, habillé d’un petit tablier à carreaux bleus. Cinquante ans plus tard, mon éditeur me propose d’écrire mes mémoires. Mes mémoires ! Alors que je veux vivre centenaire, que j’ai tant de choses à accomplir et plus de la moitié du globe à découvrir encore ! Si j’additionne toutes mes allées et venues, par mer et par terre, j’ai déjà effectué vingt fois le tour du monde, sans l’avoir en réalité bouclé une seule fois. Mais finalement, les éditeurs ont quelquefois raison : réaliser un bilan peut être utile, à la mi-chemin d’une vie ! Il ne va donc pas être question de tricher ou de faire semblant. Il ne peut y avoir qu’une seule règle du jeu : déchiffrer ce que m’ont apporté ces milliers de jours qui sont juste là, encore tout brûlants de vie. Je vais laisser parler mon coeur – conter mes espoirs, mes découvertes et mes défaites – et livrer ce qui a fait de moi ce que je suis. »
« Shama me tend la main. De l’autre, elle maintient fermement la sangle de son panier sur son front. Je fais la même chose, et nous nous engageons dans le courant. C’est froid ! Nos mains sont soudées l’une à l’autre et, profitant de ce double aplomb, nous progressons lentement. Elle s’immobilise, et je gagne quelques pas. À mon tour, je m’arc-boute solidement et elle avance. Nous avons de l’eau aux cuisses, mais le courant est si rapide que la vague qui se forme contre nous monte à nos hanches. Pleins de manioc, nos paniers sont lourds. Derrière nous, Origa et Rosaria traversent de la même façon. Sur le rivage, rapidement, nous enfilons de nouveau nos cushmas et, frissonnantes, nous engageons sur le sentier qui ramène au village, à quelques minutes de là. Je suis là depuis trois jours. Dès mon arrivée, ma Lacoste, mon short, mes chaussures et ma culotte ont volé par-dessus les cases. La journée commence à peine, mais le chemin est déjà tiède sous mes pieds nus, et je laisse mes orteils s’enfoncer avec délectation dans le sable fin. Shama chantonne, comme toujours. Et moi, je ris aux éclats.
– Paita, qu’est ce qu’il y a ?
– Rien. Tout va bien. Tout va très bien, mon amie. »